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80 ans après la fin de deuxième guerre mondiale, les Etats-Unis sont-ils encore nos alliés ?

New York City Press 80 ans après la fin de deuxième guerre mondiale, les Etats-Unis sont-ils encore nos alliés ?

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80 ans après la fin de la seconde guerre mondiale, les USA ne sont plus majoritairement perçus comme un allié par des français qui aspirent massivement à une autonomie stratégique de l’Europe

En menaçant de lâcher l’Ukraine, de ne plus assurer la sécurité de l’Europe voire d’annexer des membres de l’Otan comme le Canada et le Groenland, Donald Trump a en quelques mois bouleversé l’ordre international fondé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale au point de susciter un effondrement de l’image du pays de l’Oncle Sam dans l’opinion publique française.

Avec la remise en cause par Donald Trump du système de sécurité euro-atlantique mis en place dans l’Europe de l’après-guerre, les Etats-Unis n’apparaissent plus comme un “pays allié” aux yeux d’une grande part de l’opinion publique française : seuls 27% des Français voient aujourd’hui dans les Etats-Unis un “pays allié”, contre un sur trois qui estiment que c’est un “pays neutre” (34%) et un quart (26%) que c’est un “pays ennemi”.

43% des canadiens estiment que les USA est un pays ennemi

[1] Etude Léger pour CTV réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 28 au 30 mars 2025 auprès d’un échantillon de 1 628 personnes, représentatif de la population canadienne âgée de 18 ans et plus.

S’il est particulièrement élevé chez les Français les plus à gauche (ex : 34% chez les sympathisants LFI), ce sentiment que l’Amérique de Donald Trump est un “pays ennemi” de la France n’en reste pas moins beaucoup plus mesuré (26%) que dans un pays directement menacé par l’expansionnisme trumpien comme le Canada : 43% des Canadiens voyant désormais dans les USA un “pays ennemi” [1].

Vote aux élections législatives 2024
Vote à l'élection présidentielle 2022

La perception d’une alliance entre les USA et la France est en revanche beaucoup plus forte dans la population états-unienne : une majorité d’Américains (54%) estime que la France est un “pays allié” – contre un tiers qui y voient un “pays neutre” (35%) et 2% qui estiment que c’est un “pays ennemi” –, en particulier chez les personnes les plus âgées (70% des seniors) et les plus diplômées (64% des 2ème cycles).

54% des américains estiment que la France est un allié

Dans ce contexte de crise du système de sécurité euro-atlantique, l’idée d’une “défense européenne totalement indépendante de celle des USA” a ainsi le soutien d’une majorité de Français (58%).

Seul un tiers d’entre eux (34%) souhaite “un système de défense commun aux Etats-Unis et à l’Europe”, une proportion deux fois plus faible qu’outre-Atlantique où les deux tiers des Américains (63%) y sont toujours attachés.

58% des français estiment qu'il faut une "défense européenne totalement indépendante de celle des USA"

Le point de vue de François Kraus de l’Ifop

L’onde de choc que le virage diplomatique américain a suscité dans les opinions publiques est telle que les États-Unis ont perdu la confiance de citoyens qui, en France comme au Canada, les percevaient pourtant comme des amis depuis des décennies. Cette étude confirme ainsi bien la prévision de spécialistes qui estimaient qu’ici comme ailleurs, on en viendrait à “en tirer la conclusion que les Etats-Unis ne sont plus nos alliés”[1]. Dans ce contexte de remise en cause du lien transatlantique, il apparaît donc assez logique que les Français aspirent majoritairement à une autonomie stratégique de l’Europe et ceci en dépit du poids que la menace russe peut faire ressentir sur les velléités d’affranchissement de la tutelle états-unienne.


[1] Christian Lequesne, RFI – 1er mars 2025.

Quand l’Ifop se plonge dans ses archives

L’affirmation de Donald Trump selon laquelle les Etats-Unis sont la nation qui a le plus contribué à la défaite de l’Allemagne nazie ne serait pas du goût des Français ayant vécu la Seconde Guerre mondiale

Le point de vue de Donald Trump selon lequel les USA ont “fait plus que n’importe quel autre pays, et de loin, pour obtenir un résultat victorieux lors de la Seconde Guerre mondiale” (2 mai 2025) est loin d’être raccord avec celui des Français au lendemain de la guerre. Aux yeux des Français interrogés par l’Ifop en mai 1945, c’était l’URSS de Staline qui avait été l’artisane de la défaite de l’Allemagne nazie (57%), loin devant les États-Unis (20%) et la Grande-Bretagne (12%).

Perception par les français de la nation qui a le plus contribué à la défait de l'Allemagne

À l’époque, les Français ayant vécu le conflit avaient sans doute à l’esprit “la somme de souffrances endurées par le peuple russe” [1], les millions de soldats soviétiques tombés sur le front de l’Est et l’engagement tardif de l’Oncle Sam dans le conflit. Ce n’est que sous l’effet de l’influence des productions hollywoodiennes, la montée en puissance des commémorations du Débarquement et le reflux des forces politiques anti-atlantistes (gaullistes, communistes) que le regard des Français sur le sujet s’est inversé. En 80 ans, la mémoire collective a ainsi évolué à tel point que la Russie voit désormais son rôle dans la guerre mondiale minimisé au profit de la contribution américaine : le rôle des USA dans la défaite de l’Allemagne nazie est aujourd’hui nettement plus reconnu par les Français (60%) que celui de l’URSS (25%) ou celui du Royaume-Uni (15%).

Le point de vue de Francois Kraus de l’Ifop : A l’heure où Donald Trump annonce son intention de rebaptiser le 8 mai “Jour de la Victoire”, force est de constater que sa manière de voir le rôle de son pays dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale n’est pas marginale. Au contraire, en 80 ans, le rôle crucial de l’US Army dans la chute de l’Axe s’est imposé comme un fait dans la mémoire collective des Français – notamment des plus jeunes – et ce n’est sans doute pas l’occupation de l’Ukraine par la Russie qui va aider cette dernière à réhabiliter son rôle historique.

[1] Revue Française de l’Opinion Publique, “Les Etats-Unis, Les Américains et la France : 1945-1953”. Revue Sondages, n°2 – 1953.

Canada, Groenland, Panama… l’effondrement de l’image des Etats-Unis va de pair avec un rejet massif des projets impérialistes de Trump

Cette inversion de l’image des Etats-Unis tient sans doute en partie aux menaces que l’administration Trump à fait peser sur son soutien à l’Ukraine ou avec sa volonté d’annexer des pays pourtant membres de l’Otan comme le Canada et le Groenland, menaces toutes largement rejetées par les opinions publiques de part et d’autre de l’Atlantique.

A l’heure où Donald Trump vient de confirmer ses visées sur le Canada et le Groenland lors d’une récente entrevue à NBC News, cette étude montre que ses projets expansionnistes sont loin d’être soutenus par l’opinion publique en France comme aux Etats-Unis : 78% des Français s’opposent à l’annexion du Canada, 77% à celle du Groenland et 75% à la prise de contrôle du canal de Panama par les États-Unis.

En effet, une large majorité d’Américains se disent opposés à l’idée de recourir à des pressions économiques pour annexer le Canada (68%) ou à utiliser la force militaire pour annexer le Groenland (70%).

Français et américains sont fortement opposés aux projets impérialistes de Trump

Les projets de Donald Trump de suspendre l’aide militaire des Etats-Unis à l’Ukraine suscitent également plus d’opprobre que de soutien : 51% des Américains et 66% des Français se disent opposés à cette idée.

De même, de part et d’autre de l’Atlantique, on retrouve le même ratio dans l’opinion pour s’élever contre l’idée d’imposer à l’Ukraine de céder ses ressources minières.

Ces projets mettent en exergue des clivages qui rappellent beaucoup ceux observés lors de la dernière élection présidentielle.

En effet, ces projets d’annexions mettent en lumière un gender gap – l’annexion du Groenland étant soutenue par 26% des hommes contre 18% des femmes –, notamment au sein des jeunes : les hommes de moins de 35 ans (33%) étant deux fois plus favorables à l’annexion du Canada que les femmes du même âge (15%).

Le point de vue de François Kraus de l’Ifop

Au regard de ces résultats, les velléités expansionnistes de Donald Trump en Amérique du Nord apparaissent très éloignées des attentes de ses administrés. Difficile de ne pas voir dans le soutien à cet expansionnisme territorial l’expression d’un “masculinisme juvénile” chez des jeunes hommes qui y trouvent peut-être une façon d’assumer des pulsions d’agressivité et de domination qu’ils peinent à exprimer dans le monde réel. Le fait que ces projets impérialistes soient particulièrement populaires dans les rangs des “gamers” conforte en tous cas le profil particulier de leurs partisans.

L’opposition des français à l’impérialisme américain est suffisamment forte pour justifier potentiellement une réaction militaire de la France

A l’heure où l’on fête la victoire des alliés sur un autre impérialisme, l’impérialisme allemand des années 30, il peut aussi être intéressant de savoir jusqu’où peuvent aller les opposition des Français à l’impérialisme trumpien, notamment s’il affecte des pays membres de l’Otan comme le Canada ou des pays associés à l’Union Européenne comme le Groenland.

L’opposition aux projets impérialistes de Trump est suffisamment vive pour qu’une fraction importante de la population française se dise prête à ce que la France les contre militairement.

Ainsi, plus de quatre Français sur dix (44%) estiment que la France doit empêcher “au besoin par la force” l’annexion du Canada par les Etats-Unis, soit une proportion similaire (43%) à celle qu’on observe en cas d’annexion du Groenland (44%).

L'opposition des Français aux projets impérialistes de Trump

Et comme en 1939 face aux projets d’expansion nazis, c’est à l’extrême-droite qu’on trouve la plus forte réticence à défendre militairement le droit international contre les menaces expansionnistes : seuls 32% des sympathisants RN sont par exemple favorables à une intervention militaire française contre une annexion du Canada, contre 65% des sympathisants LFI.

Or, déjà en 1939, c’est Marcel Déat, néosocialiste et future figure de la collaboration qui refusait de réagir à l’impérialisme nazi dans une fameuse tribune “Faut-il mourir pour Dantzig ?” (L’Œuvre du 2 mai 1939).

profil des français estimant qu'il faut empêcher par la force l'annexion du...

Quand l’Ifop se plonge dans ses archives

A un peu plus de 80 ans d’intervalle, la comparaison des réponses des Français avec celles mesurées par l’Ifop en 1939 face au projet nazi d’annexion du couloir de Dantzig – projet qui déclencha la Deuxième Guerre mondiale en septembre 1939 – montre néanmoins que leur inquiétude est plus mesurée : les Français étant deux fois moins nombreux (43%) à vouloir empêcher par la force les USA d’annexer le Groenland qu’ils n’étaient en juin 1939 (76%) à vouloir empêcher l’Allemagne de s’emparer de Dantzig[1].

comparaison des réponses des Français avec celles mesurées par l'Ifop en 1939 face au projet nazi d'annexion du couloir de Dantzig

[1] Pierre HENRY, L’opinion publique française en face des deux crises de septembre 1938 et mars 1939. Revue Sondages, n°2 Juin-Juillet 1939.

Le point de vue de François Kraus de l’Ifop

En faisant exploser l’ordre international fondé à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, Donald Trump a réussi à inverser l’image des Etats-Unis qui, de pays allié, devient pour beaucoup un pays ennemi contre lequel l’affrontement militaire n’est pas qu’une hypothèse invraisemblable. La menace constituée par cette administration américaine aux décisions aussi erratiques que brutales n’est toutefois pas encore perçue comme vitale par la plupart Français, sans doute parce qu’elle affecte surtout des territoires éloignés de l’Hexagone. In fine, difficile de savoir jusqu’où ses pulsions isolationnistes et protectionnistes bouleverseront l'”ordre libéral” né après la Seconde Guerre mondiale, mais il apparaît clair qu’avec cette nouvelle administration Trump, le cycle de l’alliance occidentale ouvert en 1945 s’achève.

François Kraus de l’Ifop, Directeur du Pôle Politique & Actualités
Contact : 0661003776 – francois.kraus@ifop.com

Pour citer cette etude, il faut utiliser a minima la formulation suivante

« Étude Ifop pour NYC.eu réalisée par questionnaire auto-administré en ligne auprès d’un échantillon national représentatif de 1 225 Américains âgés de 18 ans et plus (8-10 avril 2025), et d’un échantillon national représentatif de 1 000 Français âgés de 18 ans et plus (9-10 avril 2025). À des fins de comparaison, un échantillon probabiliste de cette taille aurait une marge d’erreur d’au plus ±3% (19 fois sur 20) ».